Traités Robinson (1850)
par Robert J. Surtees
Centre de la recherche historique et de l'étude des traités
Affaires indiennes et du Nord Canada
1986
Format PDF (148 Ko, 26 pages)
Les opinions présentés par l'auteur de ce rapport ne sont pas forcement ceux du Ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada.
Table des matières
Contexte Historique
En 1791, les frontières du Haut-Canada furent établies, et le territoire s'étendant à l'ouest de la rivière des Outaouais, entre le fleuve Saint-Laurent, les Grands Lacs et les terres accordées à la Compagnie de la baie d'Hudson, se trouva à relever de la nouvelle colonie. Les terres de la Compagnie de la baie d'Hudson, également appelée Terre de Rupert, comprenaient la région arrosée par les rivières qui se jettent dans la baie d'Hudson. La frontière nord du Haut-Canada correspondait donc à la hauteur des terres ou, comme on l'appelle parfois, à la ligne de partage des eaux de l'océan Arctique.
Fait important, pratiquement tout le territoire de la nouvelle province correspondait au territoire indien défini dans la Proclamation royale du 7 octobre 1763, qui décrétait que les terres dudit territoire indien étaient réservées "à l'usage des...Indiens, comme territoire de chasse." On y décrivait aussi en termes généraux la façon par laquelle les représentants de la Couronne pourraient acheter des portions de ce territoire.
Attendu qu'il s'est commis des fraudes et des abus dans les achats de terres des Indiens au préjudice de Nos Intérêts et au grand mécontentement de ces derniers, et afin d'empêcher qu'il ne se commette de telles irrégularités à l'avenir et de justice et de Notre résolution bien arrêtée de faire disparaître tout sujet de mécontentement... il est strictement défendu à qui que ce soit d'acheter des Indiens, des terres qui leur sont réservées dans les parties de Nos colonies, où Nous avons cru à propos de permettre des établissements; cependant, si quelques-uns des Indiens, un jour ou l'autre, devenaient enclins à se d'partir desdites terres, elles ne pourront être achetées que pour Nous, en Notre nom, à une réunion publique ou à une assemblée des Indiens qui devra être convoquée à cette fin par le gouverneur ou le commandant en chef de la colonie, dans laquelle elles se trouvent situées. Note de bas de page 1
Entre 1764 et 1836 dans la province du Haut-Canada, environ vingt-sept achats importants de terres furent conclus etc, au cours des années, diverses méthodes, qui constituèrent ce qu'on appela le système des traités, furent mises au point et utilisées pour aliéner les titres de propriété foncière des autochtones. Ce système était le suivant:
- Paiement de la terre. Au début, on payait le prix fixé en un seul versement et en marchandises; en 1818, la contrepartie devint une rente annuelle d'une valeur déterminée, toujours versée en marchandises et calculée d'après la population du territoire cédé. L'argent en vint ultérieurement à remplacer les marchandises.
- Droits de chasse, de pêche et d'occupation. Les terres achetées à des fins militaires ou de colonisation n"étaient jamais occupées totalement par les forces armées ou les colons. Dans les premiers accords de cession, à l'occasion par exemple des achats de Crawford (1783), de McKee (1790), du lac Simcoe (1798), il était entendu que les résidants indiens seraient autorisés à continuer à vivre, à chasser et à pêcher dans les secteurs non colonisés. Comme la population des colonies augmentait lentement, cela ne posa pas trop de problèmes graves avant 1815. L'immigration qui suivit la guerre de 1812 aggrava cependant la pression que subissaient les Indiens, ce qui fit naître chez ces derniers des inquiétudes à propos de leurs droits de chasse et de pêche. On signalait souvent l'existence de ces préoccupations dans les procès-verbaux des négociations des traités, qui faisaient aussi état des déclarations verbales des représentants de la Couronne à l'effet que ces droits seraient respectés. Mais les ententes écrites conclues avant 1850 ne font aucune mention des droits de chasse et de pêche des Indiens. Note de bas de page 2
- Réserves. Dans certains des premiers traités (acte d'achat de McKee (1790), accord de la rivière Crédit (1805-1806), etc.), il était prévu que certaines parties précises et limitées du territoire cédé seraient réservées exclusivement à l'usage des Indiens. Note de bas de page 3 Il s'agissait habituellement de villages établis depuis longtemps ou de lieux de pêche traditionnels et fructueux. En 1830, l'adoption officielle d'un programme de civilisation fit des réserves un élément essentiel de la politique du gouvernement. Antérieurement, quand un traité n'avait pas prévu la création d'un territoire réservé aux Indiens, on en créait un par un moyen ou par un autre. En 1850, quand vint le temps de négocier une importante cession de terres de la rive nord des lacs Huron et Supérieur, il était généralement admis que le traité auquel aboutirait la négociation devait prévoir la création de réserves.
C'est l'industrie minière qui incita le gouvernement à négocier le cession de terres, dans la région de Canada-Ouest avoisinant la frontière nord-ouest. Avant l'exploitation minière, la seule entreprise commerciale importante dans cette région était le commerce des fourrures. Après 1821, la Compagnie de la baie d'Hudson détenait pour ainsi dire le monopole de cette activité, bien que des négociants indépendants l'exerçât également. Les Indiens de la région, auxquels on donnait habituellement le nom d'Ojibways du nord, participèrent à cette activité tout en continuant à utiliser leurs moyens de subsistance traditionnels : la chasse et la pêche. Ces Indiens ne formaient cependant pas une entité homogène. Les peuples qui vivaient le long de la longue rive des deux lacs les plus au nord entretenaient bien certaines relations, mais la population (approximativement 3,000 Indiens) était néanmoins répartie dans environ deux douzaines de bandes assez distinctes. Chaque bande avait se propre organisation locale dirigée par un chef. Chacune exerçait ses activités dans un secteur bien défini, dans lequel elle occupait des villages bâtis le long de la rive par beau temps, et d'autre lieux aménagés à l'intérieur des terres l'hiver.
Des gisements miniers, surtout de cuivre, se trouvaient dans certains de ces emplacements ou près de ceux-ci. Lorsque des entrepreneurs commencèrent à exploiter ces gisements, dont certains étaient connus depuis le voyage du Père Alouex dans la région au XVIII siècle, on vit leurs équipes techniques de prospection et d'arpentage se déplacer sur des terres que les Indiens considéraient leurs. Pour ces derniers, cela équivalait à une violation des droits de propriété.
La responsabilité du développement des ressources minières revenait au Ministère provincial des terres de la Couronne. Pour éclairer des actions faites par le gouvernement entre 1845 et 1850, nous devons signaler ici deux faits. Premièrement, c'est l'exploitation profitable des mines de la péninsule du Michigan qui stimula de développement minier. Il apparaissait possible de trouver des gisements des deux côtés des lacs Huron et Supérieur, en particulier des gisements de cuivre; des entrepreneurs canadiens et britanniques espéraient voir la fortune leur sourire à eux aussi. Deuxièmement, le Ministère des terres de la Couronne n'avait pas d'expérience et ne disposait pas de précédents pouvant le guider lorsqu'on lui adressait des demandes d'exploitation minière sur les rives du lac Supérieur ou de lac Huron. De plus, il n'avait aucune idée des ressources qu'on pouvait trouver le long de ces rives. Entre 1845 et 1847, le Ministère prit quelques mesures timides pour corriger ces deux faiblesses.
En 1845, le ministère des terres de la Couronne publia plusieurs règlements, par le biais de décrets du conseil, sur l'attribution des permis de prospection, les limites des concessions minières et le prix des terres contenant des gisements de métaux communs. Note de bas de page 4 En réponse aux demandes de permis d'exploitation minière, le gouvernement commença à émettre des actes de concession minière; en mai 1846, trente-quatre permis avaient été émis pour la prospection minière sur la rive nord du lac Supérieur. Note de bas de page 5 Parmi les premières compagnies à tenter leur chance dans le nord-ouest, il y avait la Montreal Mining Company mise sur pied en 1845 grâce à quelques appuis canadiens. Après avoir fait des levés d'arpentage autour de lac Supérieur, la compagnie acheta de nombreuses concessions minières du gouvernement. La superficie totale ce des concessions était de 180 milles carrés; l'une d'elles faisait cinq milles sur deux milles. Aucune de ces concessions ne généra des revenus importants. Les Propriétés que la Montreal Mining Company possédait à Bruce Mines (lac Huron) étaient beaucoup plus prometteuses; on indiqua plus tard que, jusqu'à juillet 1848, on en avait tiré environ 1,475 tonnes de minerai de cuivre, contenant en moyenne, 8,01% de cuivre (non concentré). Note de bas de page 6
Le gouvernement voulait rassembler ses propres données sur la région. À l'été de 1846, le géologue du gouvernement provincial, William E. Logan, étudia les régions de Michipicoten et de Kaministagua et signala qu'elles renfermaient de nombreuses baies et anses pouvant être des ports sûrs. Il constate également que les terres arables étaient suffisantes pour faire vivre de petites colonies. En 1846, deux arpenteurs du gouvernement provincial, McNaughton et Vidal, étudièrent d'autres régions. Vidal fit des levés, en 1847 et en 1848, sur la rive nord du lac Huron, et un autre arpenteur, Albert P. Salter, arpenta certains emplacements de la rive nord du lac Supérieur. Note de bas de page 7 D'autres arpenteurs du gouvernement provincial, de même que des géologues engagés par des entreprises privées, travaillèrent dans cette région en 1848 et en 1849.
Cette activité finit par inquiéter les Indiens de la région, qui commencèrent à ordonner aux étrangers de s'en aller. À au moins une occasion, le 7 avril 1846, un arpenteur employé temporairement par le gouvernement fut menacé par le chef Shinguakouse de Garden River. Note de bas de page 8 Les Indiens commercèrent aussi à se plaindre par écrit au gouvernement central. La plus connue de ces lettres est une requête adressée par Shinguakouse au gouverneur général le 10 juin 1846, dans laquelle le signataire fait mention des services qu'il a lui-même rendus aux Britanniques pendant la guerre de 1812, souligne qu'on lui a promis qu'il pourrait vivre "pour toujours sans être inquiété" et fair savoir que les hommes qui arrivent dans sa région brisent cette promesse. Le chef déclarait aussi que d'autres Indiens du Canada recevaient des rentes annuelles, que sa bande et les bandes qui lui étaient liées devraient elles aussi recevoir de l'argent pour leur terres, et que lui et son peuple voulaient "une part de ce qui était trouvé sur leurs terres." Note de bas de page 9 D'autres plaintes furent envoyées au gouvernement; une requête fut même publiée dans la Gazette de Montréal en 1849. Note de bas de page 10
Le gouvernement fit toutefois la sourde oreille. Si tant est que les représentants du gouvernement comprirent que les Indiens voulaient recevoir une forme quelconque de redevances pour les minerais extraits de leurs terres, ce qui semble avoir été le cas au moins pour Skinguakouse, ils ne le firent pas voir et supposèrent que les plaignants ne voulaient que des rentes annuelles. Ils crurent qu'il leur suffirait, pour régler le problème, d'en arriver à une cession de terres semblable à celle qui avait été négociée pour le sud de la province. Mais au début, même cette solution fut rejetée.
Dans un rapport présenté en novembre 1847, Denis-Benjamin Papineau, Commissaire des terres de la Couronne (et frère du célèbre Louis-Joseph Papineau), dénia aux Indiens du Nord tout droit sur les terres qu'ils occupaient sous prétexte que les bandes ne vivaient sur ces terres que depuis la Conquêt (1763) et n'en étaient donc pas les premiers habitants. Il estimait en outre que ces bandes dispersées ne constituaient pas une nation assez organisée pour revendiquer un territoire." Note de bas de page 11 Le rapport de Papineau et les accords conclus par ce dernier ne satisfaisaient pas le gouverneur général, Lord Elgin.
Je n'étais pas complètement satisfait du rapport, et après le changement d'administration du printemps, j'ai encore une fois soumis la question à l'intention du gouvernement. Avec l'accord du Conseil j'ai envoyé M. Anderson (un fonctionnaire très efficace du Ministère des Affaires indiennes), à l'été 1848, étudier les revendications des Indiens; je soumets à votre Seigneurie un exemplaire du rapport de M. Anderson, lequel est favorable aux Indiens, ainsi que la correspondance que l'auteur du rapport a eue avec le Bureau des terres de la Couronne. Comme les renseignements rassemblés n'étaient pas assez complets pour permettre au gouvernement de proposer une entente aux Indiens, M. Anderson fut dépêché à nouveau auprès de ces derniers, cet été, avec un collègue cette fois, M. Vidal, agissant au nom du gouvernement provincial, pur compléter son enquête. Ces envoyés revenaient de leur mission quand éclatèrent les troubles dont je dois maintenant vous parler. Note de bas de page 12
Ces troubles, c'est l'Incident de la baie Mica, dont les acteurs durent des Indiens et des Métis conduits par l'entrepreneur blanc Allan Macdonnel. Le groupe parcourut environ 200 milles le long du lac Supérieur, depuis Sault-Sainte-Marie jusqu'à la baie Mica, où il attaqua, en novembre 1849, les installations minières de la Quebec Mining Company. Face à cette force composée de 30 à 100 hommes armés, l'agent de la compagnie, John Bonner, crut bon de ne pas résister et de se rendre. Le gouvernement s'alarma suffisamment pour envoyer cent fusiliers réprimer ce "soulèvement indien." Note de bas de page 13
On mit fin assez facilement à l'Incident. En décembre, Macdonnel, Metcalfe (un blanc), deux Métis et deux chef ojibways (dont Shinguakouse) furent arrêtés, envoyés à Toronto pour subir un procès et relâchés plus tard. On ne peut dire avec certitude si l'Incident de la baie Mica était lié directement à la question de la cession des terres, mais le gouverneur général le pensa certainement. Dans la lettre déjà citée, on peut lire ceci :
Je me peux m'empêcher de penser qu'il est très regrettable que des mesures n'aient pas été prises pour étudier à fond les droits des Indiens et s'assurer de leur extinction avant que des permis d'exploration et des concessions de terre n'aient été accordés par le gourernement dans ce territoire. Cette négligence fournit un prétexte aux auteurs des troubles actuels et il est beaucoup plus difficule, à cause d'elle, te traiter avec les Indiens.
Lord Elgin n' était pas certain, cependant, que la cause des Indiens était solide.
Il faut aussi admettre que leurs revendications sont contestables, et comme ils sont un peuple docile et qu'ils connaissent les mesures que le gouvernement prend pour les comprendre et les satisfaire, il fait peu de doute qu'ils sont poussés à ces manifestation violentes par les conseils manleillants d'hommes blancs sans scrupules. Note de bas de page 14
Comme le fit observer Lord Elgin, le voyage d'Anderson de 1848 et le rapport consécutif à cette mission ne furent pas jugés suffisants pour fournir au gouvernement les renseignements lui permettant de se fixer une ligne de conduite. Anderson fut donc envoyé de nouveau en mission, cette fois à titre d'adjoint d'Alexander Vidal (ce dont il s'offensa), dans le but de faire un rapport plus complet sur la situation qui régnait sur la rive nord des lacs Huron et Supérieur.
Le rapport qu'ils présentèrent prépara le terrain au commissaire qui allait être nommé ultérieurement : William Benjamin Robinson.
Vidal et Anderson voyagèrent d'abord séparément; ils se rencontrèrent à Sault-Sainte-Marie le 15 septembre 1849. Leur plan était de se rendre ensemble, par schooner, à Fort William à l'extrémité ouest de la province, et de gagner ensuite, par canot, la rive nord des lacs Huron et Supérieur. Au cours de ce voyage, ils voulaient rencontrer les bandes, leur faire connaître les intentions du gouvernement et déterminer à quel point elles étaient fondées à revendiquer les terres qu'elles occupaient.
Vidal se rendit directement de Sault-Sainte-Marie à Sarnia; Anderson passa par Cobourg, la rivière Holland, le lac Simcoe et Penetanguishene. De là, il partit vers l'ouest; il traversa Manitowaning et le chenal Nord, atteignit l'île St-Joseph puis l'extrémité du lac. Note de bas de page 15 Deux faits du voyage d'Anderson méritent d'être rappelés. Premièrement, Anderson dit aux Indiens qu'il vit (il rencontra notamment les Indiens de Shawanaga, à Manitowaning) de se préparer à négocier un traité avec lui et Vidal, à leur retour. Deuxièmement, lorsque Anderson atteignit l'ouest du lac Huron, il lui fut interdit de débarquer à Bruce Mines parce qu'une épidémie de choléra y sévissait. Vingt-quatre personnes en étaient déjà mortes (14 septembre), et plus de la moitié de ceux qui étaient encore indemnes avaient fui la région. Note de bas de page 16 Le choléra et le fait que l'automne était avancé (mi-novembre) quand Vidal et Anderson retournèrent dans la région empêchèrent ces derniers de communiquer directement avec de nombreuses bandes.
Vidal et Anderson atteignirent Fort William le 24 septembre. Ils y rencontrèrent des Indiens et partirent le 27 en canot ouvert pour se rendre sur la rive du lac Supérieur. Ils n'atteignirent Sault-Sainte-Marie que le 13 octobre. Au cours de ce voyage, ils conférèrent avec des bandes à Fort William (25 et 26 septembre), à l'île Saint-Ignace (29 septembre) et à Michipicoten (9 octobre). Ils eurent de longues discussions avec les Indiens de Garden River (15, 17 et 17 octobre) avant de continuer leur voyage le long de la rive nord du lac Huron. Note de bas de page 17 Le commissaire réussit à rencontrer la bande Mississagi le 22 octobre; mais la plupart des bandes, comme celle de la rivière Serpent, étaient absentes et le commissaire n'eut aucune rencontre importante avant le 26 octobre, jour où il put s'adresser à une assemblée réunie à Manitowaning. Vidal et Anderson quittèrent ce dernier endroit pour traverser le Chenal Nord. A part une brève rencontre avec le fils du chef à la rivière des Français, ils furent incapables de trouver des bandes jusqu'à leur arrivée à Penetanguishene. C'est là qu'ils eurent, le 3 novembre, une longue discussion avec des chefs qui s'y étaient rassemblés. Note de bas de page 18
Le voyage n'avait pas eu autant de succès qu'on l'avait espéré. Comme la saison était avancée, et sans doute aussi à cause de la menace que le choléra faisait peser sur elles, les nombreuses bandes qui habitaient les rives visités par Vidal et Anderson ne se présentèrent tout simplement pas. Ce point a été soulevé par nombre ce chercheurs qui ont étudié l'historique des traités Robinson; invariablement, on critique la commission à ce sujet. Note de bas de page 19 Une autre faiblesse des documents de la Commission est la rareté des détails fournis par les journaux d'Anderson et de Vidal. Note de bas de page 20 Par exemple, no Vidal ni Anderson n'identifie les bandes ou les chefs qu'ils ont rencontrés à Manitowaning ou à Penetanguishene.
On ne peut pas, cependant, aller jusqu'à dire que la commission s'est soldée par un échec complet. Son rapport a le mérite, entre autres, de souligner le fait que les Indiens étaient justifiés de revendiquer les terres qu'ils occupaient.
Les droits des occupants actuels de cette région leur ont été transmis par leurs ancêtres, que y chassent depuis des temps immémoriaux; il ne fait pas de doute que ces droits sont aussi valables que les droits des Indiens qui ont reçu une compensation pour les avoir cédés, dans d'autres parties de la province; les Indiens de la région que nous avons visitée ont droit à une compensation semblable. Note de bas de page 21
Les commissaires ont aussi le mérite d'avoir parlé devant des assemblées d'Indiens quand et où ils le pouvaient. Ils ont aussi parlé aux individus qu'ils rencontraient. C'est de cette façon qu'ils ont pu informer des Indiens des intentions du gouvernement à propos de la question de la cession des terres, et on peut présumer que ces renseignements se sont transmis parmi les Indiens. En outre, compte tenu des faiblesses mentionnées plus tôt, les commissaires ont tout de même transmis un grand nombre de renseignements sur la partie nord-ouest de la province (nombre approximatif de bandes; emplacements traditionnels des bandes; espoirs, désires et état d'esprit des Indiens; etc.) à des personnes qui la connaissaient à peine; c'est sur la foi de ces renseignements que le gouvernement a chargé un commissaire spécial, William Benjamin Robinson, de négocier un traité pour la cession des terres de cette région.
La caractéristique la plus importante du nord-ouest était peut-être, selon Anderson et Vidal, la diversité des attitudes des Indiens envers la possibilité d'un accord sur la cession de leurs terres. En général, d'après les commissaires, les Indiens de la région étaient favorables à l'idée de conclure un traité, à l'exception des bandes de Fort William et de Sault-Sainte-Marie. Comme les assemblées qui avaient lieu à ces deux derniers endroits étaient les plus nombreuses parmi celles auxquelles s 'étaient adressés Vidal et Anderson, l'opposition qu'y manifestèrent les Indiens était sans doute plus importante que ne le laisse entendre le rapport de la Commission.
À Fort William, le porte-parole de toutes les bandes établies au sud de la ligne de partage des eaux du lac Supérieur était le chef Peau de Chat. Celui-ci se montra d'abord hostile. Il s'attendait apparemment, sans doute à la suite du voyage fait par Anderson l'année précédente, à rencontrer une commission chargée de conclure un traité officiel. Lorsqu'on l'informa que Vidal et Anderson n' étaient pas venus remplir une telle mission et que le but n'était que de rassembler des faits, il se mit à soupçonner ouvertement les agents gouvernementaux d'avoir un mandat secret. De la région de Sault-Sainte-Marie, on avait prévenu Peal de Chat qu'Anderson était un homme faux; le refus du commissaire de discuter des termes d'un traité semblait donner raison à ceux qui avaient cette opinion. Le chef se montra donc d'abord peu coopératif et refusa de répondre aux questions portant sur les droits que pouvait avoir sa bande sur les terres des environs du lac Supérieur ou sur la valeur de ces terres. Deux journées complètes de réunion semblèrent toutefois le convaincre que Vidal et Anderson avaient des intentions honorables et les membres des deux parties se séparèrent après un "échange de poignées de main. Note de bas de page 22
Le frère Frimeault, un jésuite, assistait aux réunions de Fort William. Sa présence dérangeait Anderson qui, manifestement, s'en méfiait.
Le jésuite, ici comme ailleurs, tente d'influencer les Indiens par sa façon de penser, non seulement en ce qui touche sa fois erronée, mais aussi en ce qui a trait aux buts de notre mission, non pas parce qu'il connaît bien l'objet de notre mandat, mais parce qu'il s'imagine pouvoir diriger les Indiens et ainsi pousser le gouvernement à offrir aux Indiens ce qu'il considère être une bonne affaire et mettre ensuite la main sur l'argent pour le donner à ses prêtres; le gouvernement doit se prémunir contre une telle action. Note de bas de page 23
Anderson avertit le frère Frimeault qu'il "ne devait pas intervenir", ce qui coïncidait généralement avec l'attitude du gouvernement envers les non-Indiens qui voulaient se mêler des affaires des Indiens. C'est aussi l'attitude que les commissaires avaient adoptée à Sault-Sainte-Marie, lorsque Shinguakouse, le principal chef présent, annonça que sa bande ne négocierait que par l'entremise d'Allan Macdonnel. Celui-ci était un avocat et un promoteur minier qui avait entrepris de développer des sites dans la région du lac Supérieur et qui était devenu influent auprès des Indiens de Garden River. Quelques semaines plus tard, il devait diriger le groups qui attaqua l'installation minière de la baie Mica. Anderson et Vidal avaient appris à Fort William que Macdonell était aussi responsable d'avoir fait circuler la rumeur selon laquelle Anderson était un homme faux. C'est pour cette raison, et aussi parce que la politique e vigueur était de ne traiter que directement avec les Indiens, que les commissaires refusèrent d'avoir affaire à Macdonnel et lorsque Celui-ci voulut prendre la parole, cédant aux instances de Shinguakouse, Anderson et Vidal mirent fin à la réunion. Vidal quitta la pièce; Anderson resta pour écouter Macdonell prononcer un discours "des plus incendiaires.
Deux jours plus tard, le 18 octobre, le chef Augustin, fils aîné de Shinguakouse, et trois autres Indiens de la bande de Garden River, se rendirent chez Anderson et Vidal. Les commissaires firent le compte rendu suivant de cette réunion. Note de bas de page 24
Nous avons parlé librement avec eux de la position dans laquelle se plaçaient les Indiens en refusant de discuter avec nous et en insistant pour que Macdonell leur serve d'intermédiaire, et nous leur avons fait remarquer que c'était une folie d'agir ainsi. Le chef Augustin déclara qu'il désapprouvait complètement Macdonell d'avoir parlé contre le gouverneur comme il l'avait fait lors du conseil, que la personne qui avait interprété son discours avait mal fait son travail et qu'il avait mal compris Celui qui lui avait demandé si Macdonell était plus en mesure de gérer leurs affaires qu'eux-mêmes. Le chef Augustin no voulait pas que nous disions au gouverneur que les propos de M. Macdonell étaient aussi ceux des Indiens, parce que tel n'était pas le cas. Nous lui avons alors rappelé que les Indiens avaient voulu que M. Macdonell parle en leur nom et qu'ils avaient eux-mêmes manqué gravement de respect à Son Excellence dans une adresse qu'ils lui avaient présentée l'été dernier.
Certaines parties de cette adresse avaient alors été interprétées aussi littéralement qu'une composition contenant des idées et des mots dont il n'y a pas d'équivalents dans leur langue; les Indiens one nié avec beaucoup d'ardeur avoir dit ce qu'on leur avait fait dire et ont demandé que les noms des signataires indiens soient effacés de cette adresse, en disant que c'est Macdonell qui avait écrit cette dernière et que si c'était la même que celle qui leur avait été traduite auparavant, il ne l'avait pas comprise; Augustin fit remarquer avec perspicacité "qu'un Indien ne pouvait pas parler comme ça.
Avant de nous quitter, Augustin convoque un conseil de ses jeunes braves pour la nuit; au moment de partir, nous lui dîmes que nous avions l'intention de poursuivre notre voyage très tôt le lendemain, mais que, comme les Indiens nous avaient dit qu'un malentendu s'était produit au Conseil, nous étions prêts à les écouter à nouveau s'ils le demandaient.
Le lendemain matin, Augustin nous attendait pour nous dire que lui et ses jeunes braves s'étaient consultés et avaient décidé de n'avoir aucune relation avec Macdonell et avec son père aussi longtemps que ce dernier se laisserait guider par Macdonell et s'opposerait au gouvernement; il dit aussi qu'ils considéraient le gouvernement comme leur ami et ne traiteraient qu'avec ses agents autorisés. Note de bas de page 25
Cette divergence d'opinions chez les Indiens de Garden River incita les commissaires à croire qu'on pourrait conclure avec eux une vente de terres. Comme les Chippewas de Fort William avaient été apaisés, selon le rapport des commissaires, et comme les autres bandes que ces derniers avaient rencontré au cours de leur voyage étaient elles aussi d'accord, en général, avec l'idée d'une vente de terres, les deux hommes recommendaient en termes pressants que le gouvernement agisse de façon à conclure cette vente le plus vite possible. Ils ajoutaient qu'il ne faudrait pas se limiter à acheter des terres dans les régions que l'on croyait riches en minerais.
Nous ne pouvons conseiller de proposer la cession d'une étroite bande de terre le long de la rive du lac, qui ne toucherait que les gisements miniers actuels, puisqu'il y a un désir général chez les chefs de céder la totalité des terres, à l'exception de petites réserves attribuées aux bandes. Il y aurait très peu de changements, sinon aucun, à apporter aux conditions offertes, puisque les seuls terrains qu'on sait avoir de la valeur sont en bordure du lac et que les Indiens garderont la possession de leurs terrains de chasse à l'intérieur des terres; en fait, peu importe ce qu'on leur donnera pour la cession de leurs droits, ils y gagneront puisqu'ils ne céderont qu'un simple title nominal; ils continueront à jouir de tous les avantages qu'ils ont déjà et ne seront pas plus pauvres parce que l'intelligence supérieure et le travail de leurs frères blancs leur permettront de tirer profit de quelques parcelles de leur territorie qui no leur ont jamais été utiles et qui n'auraient jamais pu leur être utiles.
Après avoir conclu qu'il était très probable que des négociations aboutissent à une entente, que la justice commandait de négocier et qu'il fallait le faire rapidement, le rapport Vidal-Anderson formulait des recommandations sur lesquelles le gouvernement devait se pencher. Le rapport faisait notamment des suggestions concernant le montant de la rente annuelle, le maintien des droits de chasse et de pêche, la création de réserves (leurs dimensions et leur emplacement). Le rapport donnait aussi des renseignements sur les principaux membres, l'emplacement et la population des nombreuses bandes qui revendiquaient des droits sur des terres particulières. La population de ces bandes était évaluée à près de 2,600 personnes.
Vidal et Anderson traitent aussi de quelques particularités de la région du nord-ouest. Partout dans le région, et à Sault-Sainte-Marie en particulier, il y avait un nombre important de Métis qui entretenaient des liens étroits avec les bandes indiennes, et dans certains cas habitaient avec elles. On pouvait s'attendre à ce que ces personnes demandent à être visées par le traité. L'existence de titres et de baux indiens posait aussi des problèmes. La Compagnie du Nord-Ouest avait commencé à acquérir des terres dès 1798; Note de bas de page 26 les missionnaires s'étaient fait donné des terres à Garden River; et il y avait aussi plusieurs baux de concession minière, y compris un bail de 999 ans accordé à Macdonnel pour l'Île Michipicoten. Note de bas de page 27 Pour ce que est des réserves, les bandes demandaient qu'elles contiennent des lieux traditionnels indiens de pêche et de rassemblement; c'etait'une demande normale, mais on observe que dans certains cas, les secteurs choisis renfermaient des gisements miniers ou des terres se trouvant à l'intérieur du territoire de la Compagnie de la baie d'Hudson.
Nous donnons ci-après la liste des réserves choisies par les bandes pendant les visites de Vidal et d'Anderson; le lecteur pourra la comparer à la liste des réserves contenue dans la version finale des deux traités; il pourra aussi mettre en regard ladite liste et la carte des réserves actuelles publiée dans ce rapport. Les descriptions sont tirées du rapport Vidal-Anderson.
Bande de Fort William. Étendue de terre le long du cours d'eau, à environ un mille de l'embouchure de ce dernier (NOTA : fait partie du territoire concédé à la Compagnie du Nord-Ouest). Le chef de Fort William voulait que les bandes Nipigon (Nipigon) et Pic s'établissent sur cette réserve, mais leurs chefs (que nous n'avons pas rencontrés) préféraient probablement avoir leur propre réserve dans la région qu'ils fréquentent.
Bande de Michipicoten. Cette bande désire avoir l'étendue de terre qui est adjacente à la baie située près de la rivière Michipicoten, du côté ouest, et qui va de cette rivière à la Rivière aux Dorées (étendue d'environ 4 milles).
Bande de Sault-Sainte-Marie. Cette bande désire, en plus de l' île Michipicoten et d'emplacements de Mamainse, loués à Macdonell, la terre s'étendant de Pointe Aux Perdrix (R. Sainte-Marie) à Squash Point, lac George, soit une étendue d'environ 12 milles de long renfermant six sites d'exploitation minière. Elle désire aussi que soient confirmés les droits de la Compagnie de la baie d'Hudson sur le Sault.
Bande Mississagi. Réserve à Rivière au Borne, incluant le petit lac et leurs fermes; elle veut aussi que soit confirmée la vente à M. Sayer d'un petit terrain situé près de la rivière Mississagi.
Bande Serpent. Une petite réserve à l'embouchure de la rivière Serpent, où ils cultivent actuellement la terre.
Bande de la Cloche et de la rivière Espagnole. Réserve sur les rives de la rivière Espagnole; l'emplacement exact n'a pas été déterminé.
Bande Shebawaynawin. Réserve au-delà du fond de la baie située près de Wawgwoskenegong (à l'est de l'installation minière de W.H. Boulton et voisine de cette dernière).
Bande de la rivière des Français. Réserve à l'endroit où ils cultivent actuellement la terre, au-delà du fond de la baie profonde située près de leur village, à environ 4 milles de celui-ci.
Bande de Mishaguongays et de Payneguenaishoum. Cette bande désire une petite réserve du côté sud de la rivière Manganegawong, à environ cinq milles de l'embouchure.
Bande de Shauwainagaw. Petite réserve à Pointe au Baril.
Nawbequaybezhik. Réserve entre la rivière Moose et Parry Sound, s'étendant vers l'arrière sur une distance pouvant être parcourue en une demi-journée. Note de bas de page 28
La Négociations Les Traité Robinson
Le rapport Vidal-Anderson indiquait qu'il était pressant de conclure une entente sur la cession des terres des Indiens des lacs Huron et Supérieur. L'incident de la baie Mica rendit cette action encore plus urgente. Et le gouvernement provincial résolut de régler la question du nord-ouest rapidement. L'homme choisi pour accomplir cette besogne fut William Benjamin Robinson. Le Conseil exécutif recommanda sa nomination et l'exécution de sa mission le 7 janvier 1850; le gouverneur en conseil les approuva le 11 janvier. C'était un bon choix, car Robinson était un homme compétent qui avait été commissaire des travaux publics de 1846 à 1848. Note de bas de page 29 Il avait aussi eu l'expérience du commerce avec les Indiens, ce qui lui avait permis d'acquérir des connaissances sur des langues et coutumes autochtones. Robinson était lié étroitement au party Tory. Son frère, John Beverly Robinson, avait été un pilier du Family Compact et était juge en chef; son beau-frère, Samuel P. Jarvis, venait d'être nommé surintendant général du ministère des Affaires indiennes. Le fait que Robinson avait des liaisons avec le monde politique provoque la colère des réformistes qui accusèrent le gouvernement de favoritisme. La position de Robinson était donc délicate, car on s'attendait à ce qu'il évite au gouvernement d'autres embarras dans le nord-ouest, ce qu'il devait faire sous la surveillance étroite des réformistes. Mentionnons aussi que Robinson était la première personne n'appartenant pas au ministère des Affaires indiennes à qui on demandait de négocier une cession de terre importante.
Ses instructions, émises en vertu d'un décret du Conseil daté du 16 avril 1850, furent elles aussi une source de problèmes. Robinson devait acheter autant de terres que possible; il fallait absolument qu'il obtienne "la rive nord orientale du lac Supérieur." Pour y arriver, il avait un budget d'environ £7,500 qui, croyait-on, allait suffire à payer le coût des négociations et les rentes annuelles qui seraient accordées. Note de bas de page 30 On avertit Robinson de ne pas donner de présents pour faire avancer les négociations. Comme il était courant depuis plus d'un siècle de remettre des présents, il était maladroit d'imposer cette condition; ce geste pouvait facilement, comme cela avait déjà été le cas, être la cause d'un manquement au protocole implicite utilisé pour les relations avec les Indiens et avoir pour effet de retarder les négociations.
Fort de l 'approbation du gouverneur, de son expérience, du rapport Vidal-Anderson et des instructions du Conseil exécutif, Robinson fit un premier voyage en territoire indien en avril et mai 1850. Ce voyage qui l'amena aussi loin que Michipicoten n'était en fait qu'une entreprise exploratoire devant lui permettre de rencontrer certaines bandes, de se familiariser avec la région et d'annoncer son intention de revenir pour tenir des négociations officielles pendant l'été.
Les vraies négociations commencèrent en août à Sault-Sainte-Marie. Avant la tenue du conseil officiel, Robinson visita les bandes de la région et accueillit les chefs du lac Supérieur à leur arrivée au conseil. Il fut aidé par des commerçants de pelleteries bien disposés envers lui, ainsi que par la visite du gouverneur-général le 31 août. Note de bas de page 31 Lord Elgin avait aussi pardonné aux chefs Shinguakouse et Nibina-goo-ging et aux deux chefs métis d'avoir participé à l'Incident de la baie Mica. Tous ces efforts avaient apparemment dissipé en partie l'acrimonie de l'automne précédent, car "tous semblaient disposés à discuter honnêtement"comme l'écrivit Robinson. Note de bas de page 32
Lorsque les négociations officielles et finales commencèrent le 5 septembre, Robinson était en fait résolu à acquérir toutes les terres bordant les lacs Huron et Supérieur, mais l'accord n'était pas facile à réaliser. Lorsqu'il présenta son offre de £4,000 comptant et d'une rente annuelle à perpétuité de £1,000 Note de bas de page 33 pour toute la région, les principaux chefs (Peau de Chat et Shinguakouse) se firent réticent et demandèrent à réfléchir à ces conditions. Lors des rencontres officielles tenues le 6 septembre, Robinson souligna que les bandes continueraient de jouir de leurs droits de chasse et de pêche, et que la colonisation, qui ne serait probablement pas intensive dans les régions stériles du bouclier canadien, n'entraverait pas ces activités comme cela avait été le cas dans l'est du Haut-Canada. Note de bas de page 34
Ces arguments réussirent à convaincre le chef Peau de Chat; les bandes du lac Supérieur suivirent l'opinion de ce dernier et signèrent le traité le 7 septembre. Shinguakouse restait cependant sceptique; il refusa de signer et les autres bandes du lac Huron firent comme lui. Il semblerait que Skinguakouse pensait que les Indiens pouvaient obtenir plus d'argent, car il avait demandé une rente annuelle de 10$ par personne, qui aurait coûté 20 000$ au gouvernement. Note de bas de page 35 Il tenta aussi de faire réserver des terres à l'usage des Métis (100 acres par personne). Robinson ne plia pas. Il ne voulait rien faire pour les Métis parce que ses instructions lui ordonnaient de traiter avec les Indiens, et non avec les Blancs. Il proposa cependant de leur donner des terres des réserves, si les bandes étaient d'accord. Note de bas de page 36 Robinson fut également inébranlable devant les demandes d'argent; il déclara franchement que si le traité n'était pas signé, il rapporterait tout simplement l'argent à Toronto. C'est peut-être cette menace qui finit par convaincre Shinguakouse. Mais il est plus probable que ce furent les autres chefs qui le convainquirent, pendant la fin de semaine du 8 septembre (on l'a déjà dit, certains Indiens, dont son fils Augustin, ne partageaient pas ses convictions). Quoiqu'il en soit, le lundi 9 septembre, Shinguakouse et les autres chefs du lac Huron présents signèrent l'entente que Robinson avait préparée et par laquelle les Indiens allaient céder la rive du lac Huron. Note de bas de page 37
Les deux ententes signées en septembre 1850 à Sault-Sainte-Marie par Robinson et les Indiens permettaient au gouvernement d'acquérir pratiquement tout le nord-ouest du Haut-Canada. Appelée communément traité Robinson-Huron, l'entente du 9 septembre prévoyait la cession de la rive du lac Huron, y compris les îles, de la baie de Matchedash à la baie de Batchewana, et de la partie de l'intérieur, s'étendant jusqu'à la hauteur des terres. L'entente du 7 septembre, appelée traité Robinson-Supérieur, donnait à la Couronne la rive du lac Supérieur, y compris les îles, de la baie de Batchewana à la rivière Pigeon, et la partie de l'intérieur s'étendant jusqu'à la hauteur des terres. Le premier traité s'appliquait à un territoire de 35 700 milles carrés Note de bas de page 38 vendu par une population indienne de 1 240 personnes; Note de bas de page 39 le deuxième traité s'appliquait à un territoire de 16 700 milles carrés Note de bas de page 40, qu'occupaient 1 422 personnes. Note de bas de page 41
Même si les traités Robinson étaient basés sur des cessions de terres précédentes, ils renfermaient quand même de nombreuses innovations. Ils comportaient une liste des réserves crées (trois dans l'entente Robinson-Supérieur, vingt et une dans l'entente Robinson-Huron). Dans la plupart des cas, les chefs de bande purent choisir les lieux qu'ils voulaient, qui étaient habituellement des emplacements qu'ils utilisaient depuis longtemps (camps d'été où ils faisaient un peu d'agriculture, etc.). On avait laissé les chefs choisir leurs réserves lors d'autres ententes précédentes (traité de 1806 de la rivière Crédit, cession de 1822 de Long Woods, etc.); cet usage fut officialisé et étendu dans le cas de traités Robinson. Il le sera encore plus pour le traité de l'Île Manitoulin de 1862, en vertu duquel on attribua 100 acres de terre par famille de cinq personnes.
Les traités Robinson renfermaient des clauses importantes portant sur trois autres éléments des relations entre les Indiens et les Blancs : la question des droits miniers, les droits des Métis et les droits de chasse et de pêche. Les deux traités contenaient une clause stipulant que les réserves ne pouvaient pas être vendues ou louées sans le consentement du surintendant principal des Affaires indiennes. Cela n'était pas nouveau : cette clause était simplement l'acceptation d'un principe qui remontait à la Proclamation royale de 1763 et qu'on avait toujours appliqué tacitement; ce qui était nouveau, c'était que le principe était inscrit en toutes lettres dans le traité. Il est probable que c'est le but premier que poursuivait le gouvernement dans la négociation de la vente de terres, c'est-à-dire le développement de l'industrie minière, qui l'amena à insérer cette clause dan les traités Robinson. En signant ces traités, les Indiens consentaient à ne pas nuire aux activités minières dans les régions cédées. Main si on trouvait des gisements de grande valeur sur des réserves indiennes, et si la bande choisissait de les vendre, la vente serait conclue par le surintendant principal des Affaires indiennes, "pour son seul usage et bénéfice et son meilleur avantage." Note de bas de page 42
À cause de la stipulation dont nous venons de parler, on fut amené à se pencher sur la question des droits des Métis, soulevée par les Indiens devant la commission Vidal-Anderson et devant Robinson. Si les bandes n'avaient pas le droit de vendre ou de louer leurs terres, pouvaient-ils les donner aux Métis en permettant à des personnes de sang mêlé de se joindre à une bande et/ou de partager l'argent des rentes annuelles? Robinson suggéra que cela pourrait se faire. On régla le problème en demandant aux Métis de se déclarer Indiens ou non-Indiens. On pourrait prétendre que le gouvernement, en agissant ainsi, empêchait la formation de communautés métis en Ontario semblables à celles qui existaient dans l'Ouest canadien.
Les droits de chasse et de pêche des Indiens dans les régions cédées avaient été reconnus implicitement dès les premières cessions de terres (achats de Crawford (1783-84), etc.) et faisaient encore l'objet de discussions, une génération plus tard, lors de la négociation d'ententes (entente du lac Rice (1819), etc.). Les traités Robinson furent les premiers à contenir des dispositions explicites concernant les droits de chasse et de pêche; ils prévoyaient que les Indiens auraient "le privilège libre et entier de chasser sur le territoire par eux maintenant cédé, et de pêcher dan les eaux d'icelui, ainsi qu'ils avaient jusqu'ici l'habitude de le faire", sauf dans les régions qui deviendraient propriété privée. Note de bas de page 43
Les compensations offertes aux Indiens, même si elles comportaient des rentes annuelles comme les compensations versées depuis trois décennies, se distinguaient de ces dernières de plusieurs façons. Chaque groups d'Indiens reçut une somme initiale de £2 000. Une annuité de £500 devait être versée chaque année. Et pour la première fois, ces sommes devaient être versées en argent. Note de bas de page 44 Comme dans certaines ententes précédentes, il était prévu que les rentes annuelles baiseraient si la population diminuait; le jour où la population serait inférieure aux deux tiers de la population visée à l'origine par le traité, les rentes annuelles diminueraient proportionnellement, stipulait en effet l'entente. Mais si les ventes de terres cédées rapportaient plus d'argent que prévu, les rentes annuelles pourraient être augmentées, selon le bon plaisir de la Couronne. Note de bas de page 45
Il faudrait ajouter un mot au sujet des frontières fixées par le traité Robinson-Huron. Robinson et les Indiens de la rive nord du lac Huron pensaient que les terres décrites dans le traité avaient été dûment vendues; les bandes du lac Simcoe n'en étaient pas convaincues. Quand Robinson revint de Sault-Sainte-Marie, il s'arrêta à l"île Manitoulin. C'est là qu'il rencontra, le 16 septembre 1850, trois chefs chippewas, Yellowhead, Aisence et Snake, qui déclarèrent avoir des droits sur les terres situées près de la rivière Severn. Le traité récemment conclu s'appliquait à ces terres. Robinson promit aux Chippewas de s'informer auprès des "bureaux des terres et des Indiens, à Toronto." Note de bas de page 46 Après le succès de sa mission, le commissaire considérait vraisemblablement que le problème que posait la revendication des Chippewas était un problème mineur et qu'il suffirait, pour le régler, de donner aux chefs de l'argent de poche. Il se trompait. Cette revendication revint sur le tapis au cours des décennies suivantes, jusqu'à ce que les enquêtes et les négociations qui aboutirent au traité Williams de 1923 définissent les droits des bandes chippewas du lac Simcoe sur les terres situées au nord et à l'est de leur village. Pour clarifier la situation, on décida que l'accord de 1923 serait applicable à la partie du bord de l'eau comprise entre la baie Matchedash et la rivière des Français et s'étendant jusqu'à la hauteur des terres. Note de bas de page 47
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